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Une fois mi-novembre, les beaux temps cédaient le pas aux temps maussades. Tristes, barbouillés, pluvieux et frais… Une obscurité éternelle régnait partout. C’est à dire que l’hiver était imminent. Et ce ne serait jamais bienvenu après un automne bien doux et même chaud qui n’avait pas fait regretter l’été. Le vent qui soufflait doucement se transformait en un poulain galopé. Et les rafales impétueuses qui provoquaient les immenses nuées de poussière chevauchant dans les ruelles noueuses, traînaient une pluie de feuilles mortes, et les amoncelaient dans les creux de portes. Ainsi que les ordures bien sûr. C’était à peine fin de l’octobre. C’est-à-dire qu’il y avait presque encore deux semaines, mais déjà les feuilles dorées avaient commencé à tomber. Depuis quelque temps partout était couvert des feuilles mortes… Des feuilles de saule pleureur, prunier, cerisier aigre… Un frac noir, un nœud papillon, une chemise en soie, une paire de souliers noirs… Sari était bien ému. Sa mère serait bien heureuse quand elle saura qu’il deviendrait un consul. Le long du chemin, il ne pensait qu’à cela. À mesure qu’il s’approchait du quartier son émotion devenait de plus en plus énorme. Surtout quand il avait dépassé l’arrêt du taxi et le café devant lequel les vieux du quartier, assis sur les petites chaises basses, jouaient le trictrac et qu’il a pris la pente qui commençait juste après le petit bain public. Qu’en dirait-elle, sa mère ? Recommencerait-elle à engueuler, le sabot à la main ? Le chasserait-elle en braillant derrière lui : « Je te ferai maintenant le consul, impertinent ! » ? Sinon, se pavanerait-elle partout, parce que son fils jouerait le rôle du consul de France dans une pièce à l’école ? En effet, ça serait bien possible ! Etait-ce une chose horrible d’avoir un sujet à se targuer ? Il n’en savait rien. Ces deux cas étaient bien possibles. Mais il n’était pas possible de prévoir par avance la réaction de sa mère. Et voilà, c’est justement pour cela qu’il voulait arriver le plus rapidement à la maison pour voir ce qui se passerait. Un frac noir, un nœud papillon, une chemise en soie, une paire de souliers noirs… C’était sa nouvelle institutrice Mademoiselle Pinar qui lui avait attribué ce rôle. Le déchirement des élèves de quatrième, profondément affligés du départ de leur ancien instituteur n’avait pas duré longtemps. La nouvelle venue n’était point furieuse comme on y avait pensé. Au contraire, elle était jeune, belle, gentille, cordiale et aimable. Dès qu’elle avait mis le pas dans la classe, elle avait su se faire aimer. Tout d’abord, elle était rieuse, rayonnante de bonne foi. Elle ne s’impatientait pas facilement. Elle ne faisait pas mauvaise mine et ne fronçait jamais les sourcils pour un rien. Elle ne pratiquait jamais ce que l’instituteur qui était parti faisait très souvent : Frapper aux crânes des enfants avec sa grosse clé aiguë. Elle n’épargnait non plus son attention, ni ses soins. Elle était affable pour tous. Elle n’agissait pas envers eux comme celui qui est parti le faisait souvent. Et puis, elle ne se bornait pas à s’intéresser simplement aux écoliers assis sur les bancs de devant. Mais elle s’occupait de toute la classe. Le plus important elle avait porté, avec elle, une ambiance, une vivacité à la classe. En plus, pour les fêtes de fin de semestre, elle avait distribué les rôles, non seulement aux élèves des deux premiers rangs de la classe, mais aussi aux autres, à ceux qui s’asseyaient sur des pupitres derrières. Au choix bien sûr ! Les enfants des bancs de devant voulaient surtout être le roi, la reine, le marchand de soie, les sultans pour être promenés en litière, le général avec un tas de galons aux épaules et une très belle casquette ornée aussi des galons dorés. Quant aux autres, ils ne se contentaient que des rôles secondaires, comme celui du serviteur de café, de porteur de litière, des gardes royales, de servante chargée de ventiler la majestueuse femme du commerçant de soie. Les porteurs du palanquin paraîtraient sur la scène avec un pantalon usé, torse nue et pieds nus. C’est pour cela que la plupart des élèves avaient levé le doigt pour ce rôle qui ne sollicitait aucune dépense de costume. Sari, avait levé aussi le doigt pour le rôle de porteur de litière, mais l’institutrice Pinar, le voyant bien vêtu, n’avait pas voulu le lui accorder. « Non, tu dois jouer le rôle du Consul de France ! » Avait-elle dit. La fille de l’officier, assise sur le banc juste devant la chaire de l’institutrice, avait levé le doigt en exposant son appareil d’orthodontie dans sa bouche pour s’y opposer. Mais l’institutrice ne l’avait pas pris au sérieux et elle l’avait empêchée de parler. « Pas d’opposition ! Votre camarade, avec sa facture mince et sa taille haute, est bien convenable pour cela. Il est fait vraiment pour ce rôle. » Et personne n’avait pu rien dire. |
MUSTAFA BALEL |
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