Bonjours chers amis !
Ecrire c'est un mode de vivre pour un écrivain. Et ce même mot
écrire porte, parallèlement, en son intérieur une nécessité d'un
public de lecteurs. A mesure que ce public grandit, l'écrivain
goûte une satisfaction de ses écrits. C'est sa nature.
S'exprimer à un public qui s'élargit d'un jour à l'autre…
Pourtant tous les écrivains du monde n'ont pas de chance à ce
propos ; la plupart d'entre eux ne peut s'exprimer qu'à un
public limité. De nos jours il n'y a que certaines langues qui
permettent de s'adresser à un grand public plus ou moins
mondial, comme par exemple l'anglais, le français ou bien
l'espagnol…
Ainsi, on peut facilement remarquer que le turc, ma langue
maternelle, n'existe malheureusement pas parmi ces langues
chanceuses. Malgré qu'elle fasse partie d'une famille de langues
assez peuplées, la langue turque, ayant subit une évolution
radicale durant presque une dizaine de siècles, reste
aujourd'hui comme une langue tout à fait différente parmi ses
homologues de la même famille, et c'est ainsi que je me sens
enfermé dans une immense boîte dans laquelle je ne pourrai
m'exprimer qu'à un maximum de 70 millions de personnes (y
compris les Turcs vivant en Europe).
Donc il me restait une chose : utiliser mon français, cette
deuxième langue que j'utilisais depuis plus de trente ans pour
suivre la littérature française et francophone, mais aussi pour
faire connaître une liste d'œuvres d'écrivains français aux
lecteurs de mon pays grâce à la traduction. Mon français, ma
deuxième langue qui n'est pas celle d'un de mes parents, n'est
qu'une langue involontairement apprise avec zèle et
enthousiasme. Involontairement ?... Mais oui… Au début c'était
justement cela… A cette époque, à la deuxième moitié des années
1950, à la suite de l'école primaire qui dure cinq années, il y
avait un enseignement intermédiaire de trois ans dit " école
secondaire " qui préparait les élèves au lycée… L'enseignement
d'une langue étrangère commençait avec cette école secondaire et
à cette époque parmi les deux langues (anglais, français)
l'anglais était plus populaire. Puisque tout le monde préférait
cette langue, il était presque impossible de trouver des élèves
voulant qu'on leur enseigne la langue française. Alors il ne
restait que la loterie ! Pendant les inscriptions des élèves à
ce genre d'école, les dirigeants de celles-ci faisaient un
tirage au sort… Et sur les bureaux d'inscription il y avait
toujours un petit sac d'étoffe dans lequel se trouvaient les
petits morceaux de papiers portant l'initiale de la langue qu'un
élève allait apprendre durant toute sa vie éducative . On disait
que ces petits papiers étaient également partagés entre deux
langues ; mais tout le monde savait (au moins, moi, je le savais
personnellement) que le contenu de ce sac était totalement
consacré au français. Et pendant ce moment bien fragile de
l'inscription, si l'on vous tend ce maudit sac, il était
absolument certain que le papier que vous alliez en sortir
serait français… Et papa, qui m'avait déjà acheté un livre
scolaire anglais (celui-là même sur lequel j'avais déjà commencé
à étudier), n'avait malheureusement pas suffisamment d'argent
pour en donner au cercle de l'école. Il n'avait pas non plus un
piston pour arranger cela par un coup de téléphone. Alors, moi,
maussade, déçu… Devant les yeux émus où l'on pouvait lire
l'espoir, si faible, du pauvre cheminot, du papa, on m'avait
fait mettre la petite main dans ce petit sac noir…
Et voilà, le sort fatal : un grand F gribouillé sur le petit
morceau de papier au bout de mes doigts ! L'initiale de ma
future deuxième langue, le français… Alors il ne restait plus à
papa qu'à acheter un nouveau livre scolaire, mais cette fois-ci
français.
Eh bien, après m'être initié au français qui allait devenir ma
deuxième langue dans ces circonstances bien tristes, j'ai fini
par rapidement l'adopter et je l'ai enseigné à des milliers de
jeunes durant trente années, et traduit des dizaines de livres
de cette langue… Enfin aujourd'hui, j'ai constaté que ma langue
maternelle était loin de répondre à mes attentes à propos
d'avoir un public plus large… Or j'étais sûr de la qualité de
mes romans et nouvelles. D'autant plus que ma carrière de
critique, et un petit peu celle de traducteur m'avait ouvert de
grandes perspectives. Un monde où je pourrais me placer à un
niveau précis parmi un tas d'autres écrivains… Alors il me
restait une chose : Ecrire en langue française…
Cela n'allait non seulement pas m'offrir de m'adresser à un
public francophone, mais également entrouvrir pour le monde
francophone la porte d'un monde inconnu/mal connu, au goût et à
la couleur différente de mon pays.
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